17 Juin 2013
Une Estaque de cinéma, les deux pieds pourtant plantés dans le réel... La petite troupe qui a emboîté samedi le pas de Jean-Jérôme Esposito et Jean Marie A. Sanchez, deux « tchatcheurs », marseillais, n’a pas été déçue du voyage, à la découverte des lieux de tournage du cinéaste Robert Guédiguian.
Organisée par le cinéma l’Alhambra, la balade est la première d’une série et s’inscrit dans la rétrospective intégrale consacrée au cinéaste jusqu’au 30 juin. D’abord, la carte postale sur la Grande Bleue entre les arches du pont SNCF, avant de descendre sur la digue de Corbières, pour Dernier été et Les neiges du Kilimandjaro. Sur fond de minots qui barbotent dans l’eau cristalline, nos deux guides tiennent à montrer que ce décor « sert au cinéma mais aussi dans la vie de tous les jours ». Arrivée à la grille qui marque la fin de l’ouvrage et panoramique sur le village, les usines et la gare du Rove, « d’où débarquent les Italiens dans Rouge Midi », rasée il y a 4 ou 5 ans. « Le but c’est aussi ça, vous montrer que dans les films de Guédiguian, on voit que les choses changent tout en conservant cette part d’invariable », explique Jean-Jérôme.
A l’époque de Rouge Midi, portail et grillages n’existant pas encore, Jean Marie n’aurait pas eu besoin de son énorme trousseau de clés pour faire entrer les visiteurs à l’embouchure du tunnel maritime du Rove, « là où se noie le scaphandrier, frère d’Ariane Ascaride ». Mais déjà les promeneurs auraient été accueillis par l’inénarrable « Mimi » qui garde les lieux avec son mari Jean-Claude. Du tunnel, on ne verra guère plus, l’édifice qui permettait les échanges entre l’Étang de Berre et Marseille étant bloqué par un éboulis d’argile depuis 1963. Direction l’Estaque Riaux, à l’arrêt de la ligne 35. Au bout d’une heure de marche sous la cagnade, Odile et Alain, venus d’Endoume sont enthousiastes. « On ne connaît pas franchement l’Estaque, d’ailleurs Marseille, on n’en fait jamais le tour, ça nous a donné envie de revoir les films », témoignent-ils.
Hommage aux mouvements ouvriers
Travelling dans la montée Casteljon, utilisée par Guédiguian avec « une focale large, elle donne une dynamique d’ascension avec des personnages tout petit au bout », commente Jean-Jérôme. Nos tchatcheurs, italien et espagnol, ne peuvent s’empêcher de replacer les décors d’A l’attaque dans l’histoire ouvrière du quartier. « Ce sont bien les Italiens qui en 36 et 47 étaient en première ligne des grèves. En passant de "babi" à "duri", ils se sont intégrés », rappelle Jean Marie désignant les petites maisons serrées autour de la place du Centre où habitaient les premières générations d’immigrés venus du Nord de la Botte. A l’opposé des belles maisons de cadre postées le long du chemin de la Nerthe que la troupe découvrira plus tard. Avant, au pied du pont de chemin de fer immortalisé par les cubistes, on devine les restes du panneau du garage Moliterno & Cie, argument central d’A l’attaque. Une petite famille raconte : « On a fait les figurants et on s’est bien amusés ! ».
Mais c’est au pied du tourniquet de la Coloniale, là où Marius surprend Jeannette en train de voler des pots de peintures que l’oeuvre de Guédiguian prend tout son sens. Démantelé en parcelles, le site avec vue imprenable disparaît lentement, au gré de l’urbanisation des collines. Mais l’Estaque un brin utopique et réellement militante que s’attache à décrire le cinéaste n’a pas encore rendu les armes. Tagué sur le rocher, l’« orage » bleu gronde comme un avertissement à ceux qui l’auraient oublié.
Mireille Roubaud – La Marseillaise 16 juin 2013
Galerie photos: Patrick Di Domenico